L’AGEPS a animé une journée de formation pour un syndicat d’enseignants sur la question préoccupante du burn-out.
Il est reconnu et avéré que le phénomène du burn-out va grandissant dans le contexte du travail. Les textes de loi sur les risques psycho-sociaux en ont été un premier indicateur. Les spécialistes et professionnels du domaine (médecin du travail, médecin généraliste, psychiatre, psychothérapeute, coach…) constatent globalement une augmentation du mal être au travail et des cas de burn-out. Mais le problème est-il vraiment abordé dans tous les contextes professionnels ? C’est le plus souvent lors d’un cumul d’événements dramatiques (suicides, situation de harcèlement, recrudescence d’accidents du travail, arrêts de maladie en augmentation) que les responsables des organisations sont dans l’obligation de se pencher sur la question et d’interroger les modalités d’organisation et de management.
Pourquoi en parle-t-on plus aujourd’hui ? De manière générale et quels que soient les contextes professionnels les causes sont bien identifiées en voici les principales : une société en crise de sens et hyper-compétitive, des environnements de travail en tension voire dépressifs, l’individualisme, une accélération des temporalités (cela va de plus en vite), l’injonction au multi-tâches, les peurs et l’angoisse face à l’avenir, la non reconnaissance des personnes, le délitement des solidarités, les changements dans les organisations non explicités, la perte de confiance en soi qui amène à la dévalorisation de soi, la perte de confiance dans les autres et plus particulièrement dans les dirigeants et les politiques (cf le climat actuel), l’incohérence des responsables et des politiques entre le dire et le faire…Tout ceci traduit et donne l’image d’une société prise dans une névrose collective. Cette liste montre combien la prise en compte de l’humain s’est trouvé minoré dans les environnements de travail et dans notre société.
Qu’en est-il dans le domaine de l’éducation et plus particulièrement dans celui de l’enseignement ? C’est à le demande d’une organisation syndicale, que je suis allé échanger autour de cette question avec des représentants du syndicat et leurs militants. Cette question n’émerge pas par hasard ou parce qu’elle est à la mode ! Sur le terrain dans les établissements scolaires les situations deviennent de plus en plus complexes et tendues : augmentation des incidents critiques, surcharge administrative, réformes non explicitées, judiciarisation, conflits, perte de sens…
Des données difficiles à objectiver. Les données précises sont difficiles à obtenir, parce que la situation de burn-out n’est pas toujours reconnu comme telle. Elle est difficile à identifier et à objectiver. Certaines maladies peuvent être dans certaines situations révélateur d’un cas de burn-out non reconnu comme tel. Il sera alors retenu, par exemple, une dépression ou un accident cardiaque ou plus grave un suicide.
Le mal être dans les établissements ne touche pas que les élèves. Pour rappel, la France est reconnu comme l’un des pays au monde où les élèves sont les plus stressés, 2ème rang mondial (voir à ce sujet l’article de la revue « cerveau et psycho n°61 – janv-fév 2014 – l’école pourvoyeuse de stress) et où la qualité de vie est parmi les moindres, 22ème rang sur 25 pays enquêtés ! Ce mal être des enfants et des jeunes français à l’école se retrouvent chez les adultes en charge de leur éducation.
Les métiers dans l’école sont à haut niveau de stress. J’ai déjà eu l’occasion dans différents articles précédents de faire référence du niveau de stress très élevé des métiers de l’éducation. Que ce soit pour les enseignants, les chefs d’établissement et l’ensemble des personnels, sur une échelle de 5 (échelle de Légeron) plus de 80% se situent actuellement sur les niveaux 4 et 5 qui caractérisent les métiers à très haut niveau de stress, voire extrêmement stressant. Dans certains contextes d’établissement c’est 100% des personnels qui sont à ces niveaux !
Plus spécifiquement pour les enseignants, il est indispensable d’être à même d’avoir des compétences de très haut niveau dans des domaines aussi variés que : la didactique disciplinaire, l’organisation pédagogique, le numérique, l’animation des groupes, l’accompagnement individualisé, la prise en compte des handicaps, la gestion des situations de tension et de conflits, la gestion administrative. Pour assumer la complexité des tâches l’enseignant se doit d’être au top de sa forme physique et psychique. Faut-il rappeler que c’est le seul métier où une personne adulte se trouve seule autant de temps face à un grand groupe d’enfants ou de jeunes qui n’ont pas choisi d’être là !
Le mal être des enseignants, du personnel, des chefs d’établissements est réel et palpable. Les personnes présentes à cette journée d’information et d’échanges venaient de toute la France. Leurs témoignages sont éloquents et touchent tous les types d’établissement du collège au lycée. L’état de surstress est général dans certains contexte d’établissement. Cela signifie que, de la direction en passant par tous les niveaux hiérarchiques et l’ensemble du personnel, la tension est constante. Il n’est pas étonnant alors de constater une augmentation des cas dits de burn-out ou épuisement professionnel.
Mais qu’est-ce que le burn-out ? C’est un terme qui vient de l’aérospatial qui signifie l’épuisement du carburant dans une fusée et par conséquent l’explosion ou la perte de la machine ! Au plan humain et dans le contexte du travail il signifie l’épuisement professionnel. Le burn-out est donc le symptôme de l’épuisement professionnel. C’est un processus qui ne se manifeste pas du jour au lendemain. Il évolue lentement et le plus souvent sournoisement. Cela peut mettre des années avant que brutalement il ne se déclare. Il varie en fonction de l’intensité et de la durée de l’exposition au stress professionnel et plus particulièrement de l’état de surstress qui s’installe, mais aussi en fonction de la personnalité du sujet, de son histoire de vie et des autres stress de la vie (vie personnelle…). Nous ne sommes pas égaux face aux situations de stress intense du contexte professionnel. C’est toute l’histoire de la personne qui est impliquée dans la situation.
Comment repérer le développement d’un processus du type burn-out ? Il est classique d’identifier trois phases :
– La phase d’alarme : La personne a conscience de l’apparition de symptômes et du lien avec les raisons professionnelles. Les symptômes sont le plus souvent physique ou comportementaux (sommeil, alimentation, baisse des défenses immunitaires, problème de santé, instabilité émotionnelle….). La personne n’arrive plus à réguler le stress.
– La phase de résistance : La personne qui ne prend pas conscience de son état, va alors rentrer en phase de résistance. Elle s’adapte aux symptômes. Elle fait comme si tout allait bien. Elle rentre dans ce que j’appelle l’état de surstress qui est l’équivalent chez les sportifs du syndrome du surentraînement. Il peut être observé dans cette phase, le développement des pratiques de dépendance (addiction). Si rien n’est entrepris, tôt au tard la personne va entrer en phase d’épuisement qui déclenche le burn-out. Il est notoire de remarquer que le plus souvent les personnes sont dans le déni, incapable d’écouter les messages de leur environnement. C’est un incident (une maladie, un accident, une erreur professionnelle importante) qui peut les amener à prendre conscience de leur état dans cette phase.
– La phase d’épuisement : La personne n’a plus d’énergie physique et psychique. L’organisme est épuisé. La personne a beau prendre des stimulants, ils sont sans effet. Elle entre dans l’apathie. La personne ne peut plus réagir. Il n’y a plus de motivation, d’envie. L’ erreur peut alors se transformer en faute professionnelle. C’est l’épuisement avec toutes les conséquences sur la santé, les relations sociales, la vie personnelle et affective. Alors que le processus a commencé depuis parfois bien longtemps, le burn-out se produit alors brutalement, par exemple : une crise cardiaque sans avertissement, des pertes de connaissance répétées, l’incapacité de se lever un matin, un cancer se développant rapidement, une faute professionnelle grave (ce que l’on appelle communément un pétage de plomb !), la fuite par une disparition volontaire et dans les cas les plus graves et les plus médiatisés, le suicide.
Quelles réponses apportées afin de ne plus en arriver à ces situations le plus souvent dramatiques ? Il est vain de supprimer le stress. Il est nécessaire et il caractérise la vie elle même. C’est l’état de surstress qui est lui dangereux pour les personnes, pour les organisations et pour la société. Dans le cadre de mon activité de consultant sur cette question du burn-out, je propose des actions au plan individuel (concernant la personne et son organisation de vie) et d’autres au plan collectif (concernant les organisations et les institutions).
– Les réponses individuelles : Voici une liste de pistes qui peuvent être explorées.
L’acceptation de la réalité telle qu’elle est, et non pas telle que je voudrais qu’elle soit.
La conscience et la connaissance de soi par l’identification de sa valeur, de ses compétences professionnelles (mes points forts…), mais aussi de ses zones de fragilité.
La prise de distance avec la culpabilité et le perfectionnisme qui sont de mon point de vue deux problématiques spécifiques au métier d’enseignant.
L’équilibrage qualitative des différents temps de vie (la vie professionnelle, la vie personnelle et affective, l’engagement associative, l’engagement dans une activité qui passionne…)
La capacité à profiter des moments de bonheur quand ils arrivent. Notre système nerveux est ainsi fait que nous avons tendance à ne mémoriser que les mauvais moments. L’être humain gagne à apprendre à être pleinement présent aux moments agréables.
L’hygiène de vie qui facilite la récupération et les états de bien être physique et psychique (sommeil, alimentation, activités physiques etc…)
L’identification et la mise à distance des personnalités toxiques. Dans toute organisation humaine existe tous les profils de personnalité. Nous sommes tous porteurs de névroses plus ou moins fortes liées à notre histoire de vie et à notre éducation. C’est ce qui fait la richesse des différentes personnalités ! Mais il se trouve aussi des personnalités destructrices, manipulatrices voire perverses. Il importe de s’en protéger, voire de les fuir, voire de les dénoncer dans le cadre de harcèlement moral.
L’inscription dans son emploi du temps quotidien de pratique de méditation de pleine conscience ou intériorité (méditation, yoga, sophrologie, contemplation, prière…). Il est maintenant validé, reconnu et accepté que ces pratiques ont de réels effets sur nos niveaux de stress. Une pratique régulière bi-quotidienne de huit semaines portent des effets sur la réduction du stress pour plus de 80% des personnes ! Voir à ce sujet plusieurs articles sur ce blog qui traitent de cette question.
L’accompagnement par un professionnel (psychothérapie, coaching, médecine naturelle et ou allopathique…) dans la phase d’alarme. Il suffit le plus souvent dans cette phase d’une à deux séances pour faire prendre conscience à la personne de la situation dans laquelle elle se trouve et ainsi mettre fin au processus d’enclenchement vers le burn-out.
La capacité à dire NON lorsque le sujet est en phase d’alarme ou lorsque les demandes sont des injonctions paradoxales ou tout simplement impossible à réaliser. « Cessez d’être gentil soyez vous mêmes » pour paraphraser le message de Thomas D’Ansembourg dans son livre, Cessez d’être gentil, soyez vrai !
– Les réponses collectives et institutionnelles. Elles concernent aussi bien l’organisation au sein de l’établissement scolaire que l’engagement au plus haut niveau institutionnel.
La prise en compte de cette question par tous les partenaires au delà des clivages et des positionnements. Il est nécessaire de sortir du déni avec lequel cette problématique est actuellement traitée.
L’interrogation des dispositifs de formation initiale dans les métiers de l’éducation et de l’enseignement. Le domaine de la formation psychologique, de la connaissance de soi doit être un axe de formation qui traverse tout le dispositif de formation. Les connaissances universitaires, didactiques et pédagogiques ne suffisent plus. Les modalités du concours et du recrutement mériteraient à être questionnées.
L’interrogation des dispositifs de formation continue des enseignants et de tous les personnels doit prendre en compte cette dimension du psychologique. Il est difficile à l’heure actuelle de proposer de telles formations parce que sortant du cadre des compétences techniques et professionnelles. Il y a à faire reconnaître et accepter que la conscience de soi et la connaissance de soi font parties des compétences transversales incontournables pour se réaliser dans les métiers de l’éducation. Ces compétences transversales ne sont pas de l’ordre de l’innée. Elles s’acquièrent. Les pratiques de pleine conscience, les temps d’analyse de pratiques, les groupes de paroles participent à les développer.
La formation des chefs d’établissement doit intégrer cette dimension du management de l’humain au même titre que les dimensions économiques, pédagogiques, techniques.
La mise en place, pour ceux qui le souhaitent dans le temps de travail, de groupe de paroles avec une supervision par du personnel extérieur à l’établissement et à l’institution. Comme il en existe dans d’autres professions.
En conclusion de cette journée. Les établissements scolaires, espace d’éducation, d’enseignement et de formation se doivent d’être des lieux porteurs de la dynamique de vie. Les acteurs (enseignant, personnel, chef d’établissement) se doivent d’incarner cette dynamique de vie, de sens et de joie. Sinon, comment la communiquer aux enfants et aux jeunes ?
Article réalisé par Raymond Barbry / mars 2014