La folie au travail, rencontre-débat suite à la projection du film « De bon matin ».

C’est dans le cadre de la 5ème édition du festival du film du diocèse de Lille sur le thème « A la folie » qu’a été projeté au Colisée de Marcq en Baroeul le film de Jean Marc Moutout « De bon matin ». La projection a été suivie d’un débat sur la question de la folie dans le monde du travail et des conséquences pour les personnes et les organisations.

C’est en tant que professionnel dans l’accompagnement des personnes et des équipes en situation de sur-stress, voire d’épuisement professionnel (burn-out) que « l’AGEPS-Raymond Barbry », en collaboration avec les « Semaines Sociales du Nord-Pas-De-Calais » et le « Centre du Hautmont », a apporté son expertise sur cette question du mal être au travail et du burn-out.

Voici en résumé les questions et les thèmes abordés et débattus avec la cinquantaine de participants.

– La maltraitance au travail existe dans tous les milieux professionnels (privé, public, associatif, religieux…). Ce sont des faits divers dramatiques qui font prendre conscience de ce qui se passe réellement sur la face cachée des organisations. C’est l’intérêt du film de Jean Marc Moutout qui s’est appuyé sur un fait réel. Nous ne sommes pas dans de la fiction, mais dans une réalité du monde du travail actuel. Cette folie se développe dans certains modes de management et d’organisation où l’humain n’est pas ou n’est plus une donnée prioritaire. Or nous savons que ce qui fait la dynamique positive d’une organisation, c’est sa capacité à s’appuyer et à valoriser les ressources des hommes et des femmes qui la composent. Toutes les recherches contemporaines sur l’efficacité au travail montrent que plus l’intention de prendre en compte le bien être des salariés est une priorité du management et plus l’organisation est efficiente, plus cette dernière gagne en intelligence collective, plus les acteurs gagnent en compétences. Les travaux récents (quinze dernières années) en psychologie positive appliquée au monde du travail le confirment.

– Le harcèlement moral dans le travail est une réalité qui s’amplifie en contexte de crise. Comment s’en protéger ? Comment échapper aux manipulateurs ? Il est très difficile de faire reconnaître une situation de harcèlement moral. Il passe totalement inaperçu pour l’extérieur et reste le plus souvent impuni. De plus, ce qui caractérise le harceleur est l’intelligence dont il fait preuve et la difficulté à prouver par des faits concrets cette situation. Les harceleurs sont de véritables sangsues qui se nourrissent du fluide énergétique mental et émotionnel de leur proie. La victime est prise dans un piège psychologique. Elle va s’y enfermer progressivement. Elle en vient à douter, à être dans la peur et la culpabilité. C’est alors le cercle vicieux qui mène à l’aliénation. La victime a l’impression de tourner en rond dans le problème à en devenir « fou ». Il est illusoire de penser changer le comportement d’un manipulateur par le raisonnement et l’empathie.

Voici quelques réponses pour se protéger d’un harceleur : Etre le moins possible en sa présence, en rester sur des échanges strictement professionnels. Si les responsables de l’organisation n’agissent pas par des décisions visant à protéger la victime et à mettre fin au harcèlement, en dernier recourt c’est une action en justice qui peut amener un changement de la situation en imposant à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour protéger les personnes et sanctionner si nécessaire. Il faut reconnaître que malgré les textes de loi en vigueur sur cette question, la procédure judiciaire est toujours longue et délicate. Pour aller plus loin sur cette question voir le livre de Christel Petitcollin « échapper aux manipulateurs ».

– La montée de l’individualisme et des logiques compétitives à outrance ont mis à mal les solidarités dans le monde du travail. Le film montre bien cet aspect des dynamiques relationnelles en déliquescence. Il est d’autant plus nécessaire de développer cette dimension de la solidarité dans les contextes professionnels. Concrètement, cela consiste à développer le dialogue social, à dépasser les conflits idéologiques, à proposer des temps de débat et de confrontation, à favoriser l’entraide dans les tâches professionnelles au sein de l’organisation, à avoir conscience des missions et des responsabilités de chacun, à avoir des dirigeants qui montrent explicitement par leur comportement ces valeurs partagées.

– La question de la formation des managers et des responsables. Au delà des compétences techniques nécessaires et indispensables. Ce sont les compétences relationnelles qui caractérisent la qualité et l’efficience d’un manager. Manager, c’est d’abord et avant tout permettre aux collaborateurs de donner le meilleur d’eux-mêmes. Cela implique de la part du responsable une posture portée sur l’empathie, la compassion et l’altruisme (voir les interventions de Mathieu Ricard au forum de Davos et de Thich Nhat Hanh chez Google). Cette posture s’acquiert par un travail sur soi. Prendre des responsabilités en matière de management implique de s’y engager.

Une méta-qualité ou méta-compétence se dégage, la conscience de soi. Lorsqu’un dirigeant en est pourvu plus de quatre vingt dix pour cent des collaborateurs et subordonnés décrivent le climat comme positif, quand il n’en est pas pourvu le pourcentage chute à moins de vingt pour cent !

– Former à la conscience de soi et à la connaissance de soi devient une priorité. Elle permet l’exploitation optimale des compétences techniques. L’homme contemporain soumis à un déluge continuel d’informations s’éparpille. Les recherches récentes en neurosciences prouvent l’aspect fondamental que présente notre capacité à être présent, à être attentif à ce qui est (à soi, aux autres, au monde…) pour mener une vie meilleure. C’est cette faculté, sous estimée à l’heure actuelle,  qui nous permet d’accomplir au mieux les autres opérations mentales : comprendre, mémoriser, apprendre, entrer en relation avec les autres…Ce n’est pas par hasard si un peu partout dans le monde émergent et se développent les pratiques dites de « pleine conscience »méditation, yoga, sophrologie. Elles gagnent toutes les sphères : santé, travail, éducatif, social, carcéral, sport…  Elles permettent une reconnexion à ce qui est fondamental, notre intériorité. Toutes les études sur ces pratiques arrivent à la même conclusion : quand on pratique la pleine conscience nous nous sentons mieux personnellement, mais nous devenons aussi plus altruistes. Il est intéressant de noter que méditer, contempler, nous rendent plus ouvert sur le monde. Il existe un lien à la spiritualité puisque une vie spirituelle, c’est justement nous reconnecter à nous mêmes, aux autres et au monde.

– Ecouter son intuition. Le plus souvent notre intuition ne nous ment pas. Elle nous donne la bonne information au bon moment. Du reste, c’est par intuition que nous prenons nos décisions dans les grands moments de notre vie, le rationnel vient alors en appui pour valider ou invalider le ressenti intuitif. Mais comment faire la différence entre une intuition « vraie » et un désir ? C’est là que repose toute notre difficulté. De plus en état de surtsress, de tension forte, de crise, d’épuisement, nous captons moins les informations communiquées par notre intuition. Or cette intelligence intuitive s’entretient, se développe. Elle délivre les messages (informations) le plus souvent par les ressentis corporels, par les rêves, par les flashs mentaux, par les synchronicités (lien non causal entre deux événements).

– Savoir dire non et oser être soi, c’est être en authenticité avec ses valeurs et ses choix face à des demandes impossibles tels que : délais trop courts, multi-tâches, injonctions paradoxales (double contrainte)… Le fait est que nous n’avons pas appris être à l’écoute de ce qui se passe en nous, à identifier nos besoins. Nous avons appris à dissimuler ce qui se passe en nous afin d’acheter aussi la reconnaissance, l’acceptation des autres ou un confort apparent plutôt d’être ce que nous sommes. Nous avons appris à être complaisant, à porter un masque, à jouer un rôle. Nous avons pris l’habitude de dissimuler ce qui se passe en nous. Nous nous sommes coupé de nous mêmes pour être avec les autres. C’est ainsi que naît la violence. La non écoute de soi mène tôt au tard à la non écoute des autres. Le non respect de soi mène au non respect des autres.

– Comment anticiper et prévenir l’épuisement professionnel ? C’est la question de la prévention qui est ici posée. C’est en amont qu’il s’agit d’agir. Voici quelques pistes qui permettent de signaler le passage du stress au surstress professionnel. Les premiers messages sont toujours donnés par le corps. Encore faut il savoir en être à l’écoute, de distinguer parmi les différents signaux ceux qui indiquent le passage vers l’épuisement. Voici quelques indicateurs qui sont caractéristique du passage d’un état de stress normal à  l’état de surstress : problème de sommeil, problème alimentaire, tension intérieure constante, nervosité excessive, augmentation des conduites addictives, irritabilité, baisse des défenses immunitaires etc…Si nous ne savons pas ou ne voulons pas être à l’écoute de ces premiers signes, d’autres viendront et ils seront de plus en plus « forts ».

– La question de l’équilibre des différents temps de vie. Une des caractéristiques de l’épuisement professionnel est le surinvestissement dans le travail. Un échec, une non reconnaissance, une situation de crise peuvent avoir des effets dévastateurs sur la personne qui a sur-investi le domaine de sa vie professionnelle. Il s’agit d’apprendre, voire de réapprendre à être présent à chaque temps de vie. Il y a le temps de la vie au travail, puis celui de la vie sociale et celui de la vie personnelle. L’important n’est pas la quantité mais la qualité du temps passé. C’est à dire la présence pleine et entière à ce que je vis. Dans un monde marqué par les cultes de la technique, de la rentabilité et de la performance, n’oublions pas nos nourritures affectives et nos nourritures spirituelles. Elles sont à la base de notre développement et de notre dynamique de vie.

– Le lien, ne pas être seul. Dans des phases de vie délicate comme celles vécues par l’acteur principal dans le film, la présence des proches s’avèrent un appui indéniable. Une présence et une acceptation à ce qui est sans jugement des proches facilitent cette traversée de la crise. C’est une présence en lâcher prise. Ce sont le plus souvent les peurs et la non acceptation de la situation qui empêchent les proches d’être dans cette présence aidante.

– L’accompagnement, une nécessité. L’aide de professionnels de l’accompagnement (coach, psychothérapeute, médecins…) n’est pas un luxe lors d’une situations de crise comme celle traversée par l’acteur principal. Cet accompagnement ne s’impose pas. Il se propose.

 En conclusion, c’est la question du non sens qui est le fil conducteur de ce film. Cette perte de sens nous la retrouvons tout au long du film à différents niveaux : dans les finalités et les missions assignées au travail, dans les relations professionnelles, dans les relations personnelles, dans les choix de vie. C’est ce qui conduit au drame. Ce dont a fondamentalement besoin l’être humain, c’est d’un compas intérieur, lequel, dans la réalité quotidienne, est déterminant pour les décisions concrètes. Or ce qui caractérise l’être humain, c’est la recherche du sens. Le fait d’avoir un but et un sens à la vie est fondamental. C’est ce qui permet de traverser des situations dramatiques. C’est ce que décrit précisément V.E Frankl (psychiatre autrichien – concepteur de la logothérapie) au travers de son expérience des camps de concentration. Il présente les trois voies qui permettent de donner un sens à l’existence. La voie de l’accomplissement, c’est à dire la réalisation de sa mission ou la création d’une oeuvre ; la voie de l’amour, qui mène à l’établissement de liens significatifs et favorise le contact avec la nature et l’art ; et la voie de la transcendance, qui incite l’individu à adopter une attitude positive face à la mort et aux souffrances inévitables.

Article réalisé par Raymond Barbry, mai 2014.

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