Réouverture des écoles… Vigilance quant au sur-stress, ou comment faire avec les peurs et ne pas sur-ajouter ?

Dans cette crise, nombre de personnes ont ressenti, ressentent et ressentiront pour le moins, du stress, de l’inquiétude, puis de l’angoisse, et voire de l’anxiété. Un sondage sorti ce vendredi en France estime que 41% des français sont en état de mal être et d’angoisse quant à cette phase de confinement et sa sortie. Les peurs sont là, bien présentes : peur du covid, peur de la crise économique, peur d’une crise politique majeure, peur des changements climatiques et surtout la peur de l’incontrôlable, de l’imprévisible et de l’incertitude.

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Concernant les établissements scolaires la France a fait le choix de la réouverture progressive dés le 11 mai en fonction des niveaux et des régions. D’autres pays ont pris la décision de clore l’année scolaire 2019/2020 et de reprendre à la rentrée de septembre. A chacun et chacune de se positionner, d’autant que les parents ne sont pas tenus de remettre leurs enfants. La possibilité de la continuité pédagogique reste de mise. Le cadre des conditions de réouverture des établissements est drastique (cf le document du MEN) et questionne fortement les enseignants quant à sa mise en œuvre concrète. Les semaines qui viennent nous éclairerons quant à la faisabilité !

Une reprise à nulle autre pareille !

Au delà du cadre qui pose les conditions de reprise et qui marque une rupture totale avec les conditions normales de classe à jamais connues à ce jour (distanciation, nombre d’élèves, restriction des activités collaboratives, conditions sanitaires….),  les chefs d’établissements, les enseignants et le personnel éducatif auront à faire en sorte que les élèves qui reprendront se sentent au mieux dans les classes et l’établissement. Mais comment faire ? Comment faire preuve de la sérénité nécessaire dans un contexte sociétal anxiogène qui impacte aussi les adultes en charge d’éducation dans l’école ? Comment faire en sorte  que, malgré toutes les contraintes, les enfants et les jeunes se sentent dans un espace sécuritaire et bienveillant ?

Les conséquences sur les enfants, les adolescents du confinement et de la pandémie.. (document issu de l’Académie de Lille)

Au plan scolaire :

  • le décrochage et les difficultés en lien avec l’absence ou l’insuffisance d’aides, d’accompagnement, d’accès au numérique.
  •  le peu ou pas d’accompagnement spécifique pour les enfants présentant des troubles d’apprentissages.

Au plan physique : 

  •  la fatigue en lien avec à la surexposition aux écrans.
  • la dérégulation du rythme veille/sommeil.
  • l’apparition ou aggravation de la surcharge pondérale et de l’obésité (grignotage, sédentarité, absence d’activité physique).
  • l’amaigrissement et carences alimentaires dues aux difficultés financières des familles.
  • les conduites addictives (écrans, produits).
  • les interruptions des soins médicaux et de rééducation (dentaires, dermato, orthophonistes…).
  • la négligence et/ou interruption des suivis et prises en charge des maladies chroniques.
  • la maltraitance physique.

Au plan psychique, les répercussions psychiques des épidémies et des confinements sont connus en voici les principales :

  • la peur d’être contaminé, de mourir et de contaminer les autres.
  • l’ isolement social qui entraîne frustration, ennui, solitude non désirée.
  • la durée du confinement et l’incertitude quant aux suites.
  • l’angoisse, les phobies (microbes), les obsessions et toc (nettoyage des mains), les troubles du sommeil, la perte de l’appétit, la fatigue et l’irritabilité, les troubles de l’attention, la morosité voire la dépression.
  • le syndrome du stress post traumatique (inscription dans la durée), perte des routines structurantes de l’école, les parents anxieux et moins protecteurs rendent les enfants vulnérables.
  • le confinement a mis un arrêt à certains suivis psychologiques.
  • le contexte de pandémie peut réactiver des événements de la vie antérieure telles que, la maladie, la mort.
  • le renforcement d’autres problématiques, cyberharcèlement, maltraitance, violences conjugales.

Une société de la Peur !

Cette crise pandémique mondiale n’a fait que raviver les peurs et la Grande Peur de l’être humain, celle de la mort qui est tue et cachée dans notre modèle matérialiste et consumériste qui nous a conditionnés à tout vouloir contrôler ! Cette pandémie nous rappelle cette réalité fondamentale, la vie, la mort ne se contrôlent pas. L’imprévisible et l’incertitude restent de mise ! Notre modernité immature refusent que les choses viennent d’ailleurs, de l’autre, des autres, ce que Lacan dénommait le grand « Autre ». Elle veut que tout vienne d’elle ! Le transhumanisme est la concrétisation et la forme abouties de cette immaturité.

Cette peur commentée à longueur de journée et alimentée par la plupart des médias s’est décuplée ces dernières semaines. Elle laisse entrevoir un monde de contrôle, de surveillance, de prévention et de sécurité qui  envahit tout et en devient excessif et maladif ! Cette peur ne tolère plus la vie avec ses aléas, ses épreuves, ses confrontations, ses échecs,  dévitalise les êtres humains, les rend frileux, peureux, méfiants, anxieux, hagards, tristes, exsangues , aigris…

Comme le souligne avec force Marie de Hennezel et Bertand Vergely (in une vie pour se mettre au monde) l’être humain a une vocation, celle de devenir. Devenir signifie que l’homme a un avenir. Il a comme vocation la vie. De plus en plus de vie !

Relativiser et remettre à sa juste place cette crise sanitaire !

Certes cette pandémie du covid 19 a quelque chose de dramatique. Il suffit d’entendre les témoignages des personnels de santé de réanimation ou ceux des personnes atteintes du covid qui en sont sorties. Mais est-ce que nous n’en faisons pas trop dans la dramaturgie ?

Je partage le point de vue d’André Comte-Sponville  qui nous met en garde contre la tentation de faire de la santé une valeur suprême au delà de toutes les autres et aux dépens de la justice et de la liberté. « Je respecte strictement le confinement, mais ça ne veut pas dire qu’on doit entrer dans ces discours qu’on entend sans arrêt à la télévision ».

De quelques rappels :  depuis le début de la pandémie, des crises graves comme la guerre en Syrie et le réchauffement climatique sont absentes des informations. « Tous les ans, 9 millions de gens meurent de malnutrition, dont 3 millions d’enfants dans le monde. Neuf millions de morts, c’est quand même plus grave que les 270 000 morts actuels de la COVID-19! ».

Par-dessus tout, les médecins ont pris le pouvoir dans nos sociétés, ce qu’on appelle le « panmédicalisme », soit de « faire de la santé la valeur suprême, et donc soumettre toute notre vie, nos sociétés,  à l’unique exigence   de la médecine ».

L’interview complet de A.Comte-Sponville sur radio canada : https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/bien-entendu/segments/entrevue/168386/andre-comte-sponville-philosophe-sante-medecins-covid-19?fbclid=IwAR0iJ1snDd61x0-ES55n6FCNpduwqwnKMdPlid6CBwwxWsNyKA_GBCvnUsA

Alors quoi faire ? Comment se positionner ? Comment ne pas sur-ajouter du stress à l’état d’angoisse latent ?

D’abord travailler ses propres peurs d’adultes, les conscientiser, les accepter (cf l’article précédent : https://agepsraymondbarbry.wordpress.com/2020/05/03/reouverture-des-ecoles-faire-temporairement-son-deuil-de-la-pedagogie/).

Ensuite être, autant que faire ce peut, en confiance en soi et dans l’équipe. Nous connaissons par l’expérience et par les recherches, le phénomène de contagion émotionnelle. Il s’agit de l’influence inter-relationnelle des émotions et des effets sur la dynamique collective. Cette influence joue dans les deux sens, négatif comme positif. Cette contagion émotionnelle, par son influence directe sur les émotions, les jugements et les comportements des adultes comme des enfants et des jeunes, peut provoquer des effets d’entraînement subtils et cependant importants dans les groupes, les classes et les établissements. Plus nous serons dans l’angoisse et plus cette dernière va se répandre. Plus nous serons dans le calme et plus ce dernier gagnera ! C’est d’abord et avant tout une posture intérieure qui s’entretient par la conscience que nous avons de nos pensées, de nos émotions.

Enfin travailler les priorités pédagogiques qui ne peuvent être celles d’avant la crise. Cela paraît évident..mais encore faut-il le rappeler ! Ce qui va prévaloir durant ces deux mois et peut être même certainement à la rentrée de septembre ce sont les compétences dites psycho-sociales. Faire en sorte que les enfants, les jeunes et les adultes vont élaborer du sens à ce qui arrive dans une appropriation collective.

Et qu’en sera-t-il de l’accompagnement des équipes éducatives durant cette fin d’année scolaire ? Depuis le début du confinement les enseignants, les chefs d’établissements, les CPE et l’ensemble du personnel éducatif ont déployé beaucoup d’énergie dans la continuité pédagogique. La reprise avec le cadre sanitaire va provoquer une tension supplémentaire, d’autant que nous n’avons aucune expérience en la matière ! Souhaitons que les tutelles, les hiérarchies seront à la hauteur de l’accompagnement. Il en va de la santé mentale des équipes éducatives.

Raymond Barbry le 9 mai 2020.

 

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